Analyse de la FI33 sur les Zones à Faible Emission (ZFE)

Plus qu'une mesure faussement écologique, les ZFE risquent d'augmenter les fractures sociales et territoriales. Notre analyse.

Cet article a été produit et écrit en 2023. Certaines informations sont susceptibles de ne pas être actualisées, comme la date prise d'effet de la ZFE. L'analyse et les conclusions restent cependant les mêmes à cette date.

Mise en contexte

La pollution atmosphérique est responsable de près de 40 000 décès prématurés en France, dont près de 600 décès sur l’agglomération bordelaise. Face à cette situation très préoccupante et aux injonctions de l’Union Européenne à respecter les directives sur la qualité de l’air, le gouvernement a fait le choix d’imposer, à toutes les métropoles de plus de 150 000 habitants, l’instauration d’une zone à faibles émissions mobilité (« ZFE-m »). Sur la métropole de Bordeaux, cette ZFE prendra effet le 1er janvier 2024 sur le périmètre de l’intra-rocade.

En choisissant d’imposer ces dispositifs de ZFE, le gouvernement à décidé de miser sur une accélération de la transformation du parc automobile, plutôt que de choisir :

  • de mener une politique volontariste de développement des infrastructures de transports en commun et des modes actifs (vélo, marche)

  • de conduire une vraie réflexion sur la place de la voiture et l’aménagement du territoire.

Au-delà de ces considérations générales, le choix des ZFE par le gouvernement est très discutable, c’est une mesure faussement écologique, trop peu ambitieuse pour répondre à l’urgence d’amélioration de la qualité de l’air. Il aura pour conséquence d’exclure une grande partie de la population des centres urbains. Par ailleurs, son application sera difficile et coûteuse, avec création d’infrastructures de contrôle des entrées/sorties, remplacement du parc automobile exclu...

Une mesure faussement écologique

« Il faut que tout change pour que ne rien ne change » est le précepte pouvant s’appliquer aux dispositifs de ZFE. L’objectif poursuivi par leur application est en effet une transformation du parc automobile sans reposer la question des mobilités et la place de la voiture individuelle. Or, c’est bien une réflexion globale qu’il convient d’engager pour proposer une politique de sobriété énergétique des mobilités, autrement dit :ne pas se déplacer moins ; mais se déplacer mieux.

Un autre point discutable dans les ZFE concerne les critères retenus pour l’établissement des vignettes Crit'Air. Ceux-ci apparaissent bien trop restrictifs, puisqu’ils prennent seulement en compte l’année de construction du véhicule et le type de carburant, tandis qu’ils ignorent les émissions de gaz à effet de serre, le cycle de vie, le poids et la consommation en carburant des véhicules.

Les ZFE ne s’appliquent pas aux sources de pollution autres que celles émises par le secteur du transport routier. Ainsi les rejets de l’industrie, pourtant responsables de 20% de la pollution à l’oxyde d’azote, ceux de l’habitat, de l’agriculture mais aussi des cargos ou navires de croisière en stationnement dans les ports ne sont pas concernés.

Enfin la problématique de la qualité de l’air dépasse largement les frontières des centre urbains des grandes métropoles. A ce titre les ZFE semblent très peu efficaces voire hypocrites, car elles n’incluent généralement pas les parties les plus polluées des métropoles. A Bordeaux, l’exclusion de la rocade du périmètre ZFE en est l’exemple le plus marquant.

A l’échelle de la France et de l’Europe, le choix d’imposer des ZFE en retenant un critère de taille d’agglomération, quel que soit leur situation géographique, interpelle aussi. Il parait déconnecté de la carte de la pollution atmosphérique concernant particulièrement les régions industrielles et/ou hyper-urbanisées (nord-ouest de l’Europe, Italie du Nord, région parisienne, etc). Imposer une ZFE à Brest par exemple est étonnant en termes de priorisation écologique du gouvernement.

Une mesure de discrimination sociale et territoriale

Les conditions qui prévalent à l’accès au ZFE vont avoir pour conséquence directe d’exclure les personnes les plus précaires des centres urbains concernés. En effet 38 % des ménages les plus pauvres possèdent un véhicule « Crit’air » 4 ou 5 contre 10 % des ménages les plus riches.

Les ZFE vont ainsi amplifier la fracture sociale mais aussi la fracture territoriale. Les habitants des zones rurales et péri-urbaines en Gironde, aux revenus médians moindres que la population habitant Bordeaux Métropole (source Insee), possèdent en moyenne des véhicules plus polluants que les habitants des zones urbaines. Ces habitants vont se retrouver devant un choix impossible : d’un côté l’interdiction (ou une forte restriction) d’utiliser leur véhicule, et de l’autre une offre de transports en commun ou de mobilités alternatives très limitée voire inexistante dans plusieurs secteurs du Libournais, Médoc, Sud Gironde.

Par exemple, en semaine le dernier train pour Cadaujac part de Bordeaux à 20h19, et à 21h50 les vendredi et samedi.

Nos demandes et propositions

Face à ces constats, nous demandons la suspension du déploiement de la ZFE sur la métropole de Bordeaux, tant que les conditions suivantes ne seront pas remplies :

  • Le développement d’un réseau sécurisé dédié aux modes actifs de déplacements (vélo, marche à pied…) sur l’ensemble de la métropole.

  • Le développement d’un réseau de transport en commun urbain performant et facilement accessible pour tous, en proposant la gratuité au moins partielle des transports. L’offre de transport doit être également renforcée notamment par le développement de lignes circulaires reliant entre elles les communes extérieures de la métropole.

  • La prise en compte dans les conditions d’accès à la ZFE, en plus des vignettes Crit’Air, des émissions de gaz à effet de serre, l’analyse de cycle de vie et le poids des véhicules.

  • L’intégration dans la ZFE des autres sources de pollution potentielles industrie, agriculture, et bateaux de croisière.

  • De vraies aides financières incitatives pour la conversion et le changement de véhicules et/ou pour le passage aux modes doux (vélo, transports en commun...), avec une cohérence en rapport avec les revenus des ménages et leur reste à vivre.

  • Une politique de redéploiement du fret ferroviaire, au dépens des transports routiers, en réinvestissant pleinement la gare de triage d’Hourcade (Bègles) pour en faire un point central de distribution à l’échelle de la métropole.

  • Une réorientation des politiques publiques d’aménagement et d’urbanisme du territoire, via la planification au niveau régional et départemental pour en favoriser l‘essor des villes moyennes périphériques plutôt que de miser sur une densification toujours plus forte du centre de la métropole (Bordeaux et communes limitrophes). Cela nécessite d’avoir le courage de réinterroger les choix de la métropolisation actuelle et de concurrence des territoires.

  • Un investissement massif dans les transports en communs en secteurs ruraux et péri-urbains (ferroviaire notamment : train du quotidien, autocars de grande périphérie, solutions de co-voiturage), mais aussi dans de nouveaux parkings-relais aux abords de la métropole pour proposer offrir des alternatives crédibles aux habitants hors-métropole.