HORIZEO (2) : qui pilote l’avion des EnR ?

Les EnR, ce sont les énergies renouvelables. Et le développement des énergies renouvelables, en France, accuse un retard dramatique. La nécessité de rattraper ce retard est souvent invoquée pour justifier des projets gigantesques comme HORIZEO. Ce retard est dû à des causes économiques : rien n’est moins cher (sur le marché) que l’énergie issue d’un baril de pétrole. Le kWh qui sortira d’une éolienne ou d’un champ photovoltaïque sera forcément supérieur puisque le coût des dégâts environnementaux des énergies fossiles n’est pas intégré à leur prix. A cela s’ajoute, en France, la croyance éperdue en l’avenir de l’énergie nucléaire, croyance qui a été sérieusement entamée par des accidents nucléaires majeurs et l’imbroglio de la gestion des déchets.

Les militants de la France Insoumise et Loïc Prud'homme député LFI, avec les salariés de l'énergie le 25 mars 2021 pour dire non au projet Hercule.

Ce moment où un investissement public énorme dans les EnR doit être fait est aussi celui où la privatisation des services publics en charge de l’énergie avance à marche forcée, sous injonction de la Commission européenne et avec la complicité des gouvernements qui se sont succédés en France depuis 20 ans. Gaz de France est déjà devenu Engie et EDF va bientôt être vendu à la découpe avec le projet HERCULE, repoussé pour l’instant par la mobilisation des salariés de la branche mais qui refera surface, après les présidentielles. La philosophie de ce projet HERCULE est de toutes façons déjà à l’œuvre : privatiser tout ce qui concerne les EnR et qui va permettre un business juteux grâce aux subventions étatiques et européennes. Laisser au service public le soin de gérer tout ce qui va coûter énormément d’argent comme les centrales nucléaires dont le démantèlement va avoir un coût astronomique dans les années à venir. Car il va bien falloir les démanteler !

1 milliard d’€ d’investissements

A cet égard, le modèle économique d’Horizéo laisse rêveur : 1 milliard d’euros afin de « décarboner notre mix énergétique ». Les actionnaires des entreprises Engie, RTE, Néoen sont-ils devenus des écolos radicaux ? Non, et on se doute bien qu’il y a, à l’arrivée, une perspective de bénéfices substantiels. Nous allons y revenir.
Commençons par nous étonner, comme le fait (poliment) le CESER (le Conseil économique social environnemental régional) dans son avis datant du 16 juillet 2021. Il s’interroge : « Ainsi, la pertinence de projets d’investissements majeurs comme Horizéo peut et doit donc être interrogée de manière globale, au regard des priorités d’investissements dans la réduction de la consommation d’énergie ».
L’urgence d’entreprendre une politique nationale de réduction de notre consommation d’énergie, de mise en œuvre d’une sobriété à grande échelle est effectivement absente d’un tel projet. On aimerait bien pouvoir mobiliser 1Md€ supplémentaire dans « Ma prime Rénov » pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Ces investissements seraient triplement bénéfiques, au climat et aux finances publiques et à celles des ménages.
Cette question de la réduction de notre consommation n’était d’ailleurs pas prévue dans le débat public qui a commencé et ce n’est que sous la pression des associations et d’intervenants divers qu’elle est réintégrée.

Revenons au modèle économique des porteurs de projets. A qui vont-ils vendre leur électricité « verte » (les guillemets évoquent les 1000 ha de forêt détruits pour implanter ce projet) ?
Il s’agit d’un marché d’un nouveau type, nommé le PPA pour « Purchase Power Agreement ». C’est un contrat de vente directe d’électricité par le producteur au consommateur / agrégateur / fournisseur. Exit l’obligation de passer par EDF. Les producteurs d’énergies renouvelables peuvent désormais commercialiser leur production directement auprès de la bourse de l’électricité.
On lit dans la brochure de présentation du projet : « Des contrats de longue durée seront proposés [aux entreprises clientes], avec des prix stables et proches de l’électricité conventionnelle délivrée sur le réseau ». Plus loin il est précisé que les prix des contrats PPA qui devront être conclus seront inférieurs aux coûts de production (et voisins de 48 €/ MWh) soit à parité avec ceux du réseau.

Centre photovoltaïque de Cestas (230 ha)

Comment vont-ils faire des bénéfices puisque le MWh de photovoltaïque semble le plus cher à produire de tous*? La réponse est dans la loi du 17 août 2015 « relative à la transition énergétique pour la croissance verte » qui a initié ce nouveau modèle économique. Le gouvernement a décidé d’ajouter un complément de rémunération composé de deux primes :
• La prime à l’énergie qui garantit au producteur des revenus au moins égaux à son ancien tarif d’obligation d’achat avec EDF.
• La prime de gestion qui le récompense pour avoir opté pour la vente directe et suivi la procédure administrative. Son montant est fixe.
Quel est le montant de ces primes espéré par les porteurs du projet de Saucats ? On ne le sait pas. Dans un rapport de mars 2018 la Cour des comptes considérait déjà « indispensable de calculer et révéler le coût complet du mix énergétique programmé et les soutiens publics induits, et d’asseoir les décisions de programmation énergétique sur ces informations ». Les dépenses publiques de soutien aux EnR électriques qui étaient de 5,3 Md€ atteindront 7,5 Md€ en 2023 … pour un résultat dérisoire concernant la lutte contre le changement climatique puisque dans le même temps, nos émissions de gaz à effet de serre n’ont pas diminué comme la France s’y est engagée avec les accords de Paris ou avec la SNBC. La neutralité carbone en 2050 ne sera effective que si les émissions diminuent de 5,7 % par an entre 2020 et 2050 (c’était – 4 % en 2018, – 1,9 % en 2019)

Une seule urgence : faire des profits

Les arguments écologiques avancés par les porteurs du projet relèvent donc de la pure communication. S’ils se ruent sur les EnR et notamment sur le photovoltaïque, c’est qu’il y a une manne conséquente et que le business model est prometteur !
On se retrouve dans la même situation avec le « gaz vert », le fameux biogaz issu des méthaniseurs qui poussent un peu partout en France. Racheté par GRDF à un tarif bien au dessus du prix du marché du gaz (de l’ordre de 100 €/MWh), ce gaz qui devait être produit en décomposant des déchets végétaux ou animaux est de plus en plus souvent produit à l’aide de cultures dédiées (les CIVE) au détriment de l’élevage qui voit s’envoler le prix de certains fourrages. Ces méthaniseurs sont en outre victimes d’accidents industriels nombreux : incendies, épandages accidentels de digestats, fuites de gaz… sans compter les pollutions engendrées par l’épandage en plein champ des boues qui rendent le bilan carbone (et nitrate) de cette activité tout à fait suspect, et coûte là encore « un pognon de dingue » aux contribuables.

Horizeo : dossier des porteurs de projet

Dans le même temps, la situation de précarité énergétique de millions de foyers reste inchangée, malgré les annonces de chèques énergie qui pleuvent (les annonces, pas les chèques) en cette veille d’élection présidentielle. Il y a 13 millions de personnes en précarité énergétique en France, et, dans le même temps 5,4 Md€ de dividendes versés par an aux actionnaires d’Engie et d’EDF, selon la CGT Energie.
Ce paradoxe scandaleux va s’aggraver encore cet hiver puisque le prix du gaz pour les particuliers va encore augmenter de 8 % portant la hausse totale pour l’année à +59 %, et celui de l’électricité de plus de 7 %.

Conclusion

Pour répondre à la question posée en titre (qui pilote l’avion des EnR?), on voit bien que ce n’est ni l’urgence écologique, ni l’urgence sociale. C’est la « main invisible » du marché.

Or le marché n’en a rien à faire des besoins réels des gens, rien à faire de la chute de la biodiversité, rien à faire du dérèglement climatique. Sur tous ces sujets, le marché est aveugle et ne cherche qu’à s’adapter aux situations pour faire un maximum de profit. C’est une règle fondamentale du capitalisme qui n’est jamais remise en question, pas même égratignée, dans les lois de programmations gouvernementales sous Sarkozy, Hollande ou Macron.
Au contraire : en faisant sauter les tarifs conventionnés, en détruisant savamment les services publics les gouvernements successifs n’ont fait qu’aggraver les deux crises : écologique et sociale.

La mise en œuvre de l’Avenir en Commun (consultable en ligne ici), porté par la France Insoumise, instaurera un pôle public de l’énergie qui aura pour but d’atteindre 100% d’énergie renouvelable en 2050. Il faudra pour cela renationaliser EDF et Engie (ex-GDF) en lien avec des coopératives locales de production et de consommation d’énergies renouvelables et favoriser l’autoproduction et le partage des excédents. Il sera indispensable de revenir sur la libéralisation du marché de l’électricité et d’abroger la loi NOME. Enfin les choix en matières énergétiques devront être faits de manière démocratique et on voit bien avec le débat Horizéo que les citoyens ont beaucoup à dire.
Malheureusement les conclusions d’un débat public, même lorsqu’elles sont défavorables à un projet de ce type, ne s’imposent pas aux pouvoirs publics. L’expérience de la LGV Bordeaux-Toulouse nous le montre, il faudra nous battre sur le terrain pour que cette exigence de projets œuvrant à l’intérêt général et élaborés de façon démocratique voie le jour.

*Coût actuel de production du MWh :
– nucléaire : entre 60 et 110 € selon l’âge de la centrale (source : Cour des comptes)
– éolien : entre 90 pour le terrestre et 200 € pour l’offshore (source : syndicat des EnR)
– hydraulique : entre 15 et 20 € (source : Cour des comptes)
– photovoltaïque : 140 € (source : Engie)
– thermique (gaz) : entre 70 et 100 € (source : EDF)

6 réponses à “HORIZEO (2) : qui pilote l’avion des EnR ?

  1. Bonjour,
    Vous écrivez « Il faudra pour cela renationaliser EDF et Engie (ex-GDF) en lien avec des coopératives locales de production et de consommation d’énergies renouvelables ». Mes questions: 1°) y-a-t-il déjà des coopératives locales de ce type ? 2) comment ce lien pourrait fonctionner ? J’imagine mal une gestion d’une centrale nucléaire par une coopérative 3°) Ne risque t-on pas de réintroduire, par ce biais, une « privatisation » même déguisée sous l’appellation « citoyenne » ?
    Sinon, c’est sur que c’est vers ça qu’il faut aller mais p….que c’est dur en ce moment d’exposer d’autres thèmes que l’islam ou l’insécurité.
    Merci pour vos combats.

    1. Effectivement, le risque est grand de voir réapparaitre une privatisation déguisée sous l’appellation « citoyenne ». Voilà pourquoi nous proposons non pas un service public à l’ancienne, avec un gros EDF peu démocratique et encore moins transparent – c’est un euphémisme concernant le nucléaire – géré comme une entreprise privée. Nous voulons un « pôle public » et nous l’associons à une gestion démocratique, avec pouvoir d’intervention des citoyens à l’échelon local, mais dans le cadre d’une planification décidée (démocratiquement) à l’échelon national. Il existe actuellement des coopératives comme Enercoop mais dont les marges de manœuvres sont celles laissées par le marché et elles n’ont surement pas les reins assez solides pour gérer une centrale nucléaire, encore moins décider de son démantèlement.

  2. L’émancipation de l’humanité du nucléaire a autant d’importance que l’émancipation énergétique des ressources énergétiques fossiles.

    Actuellement on voit des efforts considérables du lobby électronucléaire pour garder la main mise sur une transition énergétique compatible avec leurs intérêts. Pour décrocher des avis favorables chez les forces écologiques, ils propagent maintenant un électronucléaire comme complément à coté des énergies renouvelables, ou des centrales nucléaires de petite taille (voir déclaration Macron de ces derniers jours).

    Petite taille ou complément, la production de l’électricité nucléaire reste lié à des risques non inestimables car la sureté reste hypothétique, tout comme la sécurité concernant les déchets hautement radioactifs pendant des dizaines des milliers d’années.

    La présentation de l’électronucléaire comme complément aux énergies renouvelables et comme partie de la transition énergétique peut paraître attractive uniquement à cause de l’absence d’innovations majeures et par la situation désespérée des énergies renouvelables en France. Miser sur la poursuite de l’électronucléaire comme partie de la transition énergétique contourne le problème au lieu de le résoudre.

    La vision « énergie = électricité » fait partie de ces problèmes. En 2015, le secteur des bâtiments a compté pour 44,9% de la consommation finale d’énergie en France (hors usages non énergétiques). Les deux tiers de la consommation énergétique de ce secteur proviennent des bâtiments résidentiels, le tiers restant des bâtiments du tertiaire. Plus de 60% dans ce secteur est consommé en énergie calorifique, c’est-à-dire pour l’eau chaude sanitaire et le chauffage. Aujourd’hui le chauffage électrique et le chauffe-eau électrique ont une place prépondérante en France. Plus de neuf millions de logements français sont chauffés à l’électricité, soit autant que dans tout le reste de l’Europe ! Fait qui justifie et assure une bonne partie de la production électronucléaire. L’utilisation du chauffage électrique fait partie des causes de la précarité énergétique de la population pauvre. La plupart des HLM et du logement collectif en sont équipés. Pour les bailleurs c’est l’installation la moins chère, le prix fort est payé par le consommateur.

    Du point de vue de l’efficacité, l’utilisation de l’électronucléaire pour la production de chaleur est une aberration : la fission nucléaire produit de l’énergie calorifique pour la production de vapeur > la vapeur fait tourner des turbines (énergie cinétique) > les turbines font tourner des générateurs pour produire de l’énergie électrique > ensuite transformation en haute tension pour le transport > ensuite transformation en 230V pour alimenter une résistance électrique > pour transformer l’électricité en chaleur. Le degré d’efficacité se situe (selon les calculs) en dessous de 30%, sans intégrer la production des combustibles, le traitement des déchets etc. 70% de l’énergie issue de la fission est « gâchée » en chaleur dans les tours de refroidissement sans compter les autres « pertes.

    Pour sortir du électronucléaire il faut sortir du « tout électrique » ! Voici quelque proposition :

    Sortir du chauffage électrique. Interdiction pour les bâtiments neufs. Programme combiné de remplacement progressif des chauffages électriques dans les bâtiments résidentiels collectifs par des chauffages combinant solaire thermique avec chaudières biomasse et isolation des bâtiments. Pas de subvention pour les pompes à chaleur qui chauffent aussi avec l’électricité. Malgré un « bon » COP, si on prend en considération « l’énergie fatale » le résultat reste défavorable. Remarque : en Norvège, Danemark, Allemagne, Irlande le chauffage électrique est interdit ; en Suisse dans la plupart des cantons.

    Prescription de la production d’eau chaude solaire pour tous les bâtiments résidentiels et tertiaires neufs. Équipement progressif des bâtiments anciens avec priorité sur le résidentiel collectif. Dans les bâtiments résidentiels neufs avec l’application de la RT2012 la dépense énergétique pour l’eau chaude devient la plus importante.

    Mise en place de réseaux de chaleur urbains avec production centralisée par biomasse et solaire thermique intégrant la récupération de la chaleur des processus industriels. Promotion des mini-réseaux de chaleur en secteur périurbain.

    Et d’une manière générale : Intégration des énergies renouvelables dans la formation professionnelle initiale dans tous les domaines, de l’artisan aux architectes et ingénieurs. Suppression des pseudo-formations (label RGE, Qualisol, QualiPV, QualiBois, QualiXXX). Intégration dans la formation continue.

    Après le CAP les artisans (plombiers, électriciens, couvreurs, etc.) doivent être capables d’installer et de maintenir correctement les dispositifs des énergies renouvelables, tout comme les diplômés du supérieur (architectes, ingénieurs, etc.) doivent être capables de concevoir des bâtiments faible consommation et intégrant d’office les énergies renouvelables.

    1. Merci pour ces propositions qui vont dans le bon sens et dans le sens du bon sens. Effectivement, la vision franco-française énergie = électricité a fait beaucoup de dégâts.

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