HORIZEO (3) : les dessous de la neutralité carbone

La contradiction saute aux yeux de tous les observateurs : construire un parc photovoltaïque pour décarboner nos sources d’énergie, tout en détruisant 1000 ha de forêt – c’est à dire un gigantesque puits de carbone – est vraiment paradoxal ! De plus les pouvoirs publics, la Région, le Département, et même la ministre de la transition écologique, ne cessent d’affirmer qu’il faut de toute urgence préserver la biodiversité qui n’est pas encore détruite, cesser d’artificialiser les sols et protéger les forêts.

A cela les porteurs du projet répondent qu’ils appliqueront « la séquence Éviter – Réduire – Compenser – Accompagner (ERC-A) » car ils tiennent à « conduire une démarche à forte valeur ajoutée ».

Le maître mot : compenser

La compensation est au cœur des stratégies actuelles pour continuer de mener des projets dispendieux, continuer d’émettre du carbone, de détruire des milieux naturels alors qu’il faudrait réduire, diminuer nos impacts sur les milieux naturels, vivre et produire avec sobriété. On continue de foncer dans le mur, en faisant croire à une neutralité qui ne résiste pas à l’analyse.

La centrale de Cestas (230ha) : un rectangle de 1,8 km sur 1,3 km environ.
Le projet Horizeo occuperait une surface quadruple !

La notion de compensation existait depuis plusieurs décennies mais elle a été fortement formalisée par la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » promulguée le 8 août 2016. Cette loi impose aux maîtres d’ouvrage de faire un inventaire du patrimoine naturel et de fournir les données sur la biodiversité du lieu de leur projet. Ils sont en outre priés, pour obtenir l’autorisation environnementale, de démontrer qu’ils mettent tout en œuvre pour :

– éviter (E) les atteintes à la biodiversité ;

– à défaut, d’en réduire (R) la portée ;

– en dernier lieu, de compenser (C) les atteintes qui n’ont pu être ni évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées.

Le principe de cette séquence ERC est donc de viser l’absence de perte nette de biodiversité, voire de tendre vers un gain de biodiversité.

En général, les mesures d’évitement concernent la nature même du projet, son implantation et son emprise (évitement géographique) ainsi que ses modalités de réalisation et de mise en service (évitement technique).

Pour le projet Horizéo ces mesures sont subtilement présentées (p. 13)  en précisant que si l’aire d’étude actuelle est de 2000 ha, les opérateurs prévoient un parc photovoltaïque d’1 GW sur environ 1000 ha (seulement) « ce qui permet notamment d’éviter les zones à fort enjeu environnemental présentes au sein de l’aire d’étude et d’y maintenir une activité de sylviculture ». Voilà pour la case E.

Pour ce qui est de l’inventaire, il reste à faire : « les premiers relevés de l’état initial de l’environnement ont permis de cerner des premiers enjeux sur le site en termes de biodiversité, d’impacts paysagers et patrimoniaux, et de risques technologiques et naturels ». Plus loin on lit que le bilan carbone du projet reste à faire afin de limiter l’empreinte CO2. Voilà pour la case R.

Enfin les grandes lignes de la compensation (C) sont déjà annoncées : en contre-partie du défrichement, ce sera une compensation sylvicole, c’est à dire que l’on plantera des arbres ailleurs, en lieu et place de ceux qui seront abattus. Les services de l’État et la filière bois seront sollicités pour « calculer » cette compensation qui sera « qualitative », c’est promis. Le ministère de la transition écologique fournit un guide de mise en œuvre d’une approche standardisée du dimensionnement de la compensation.

La loi de 2016 prévoit que le maître d’ouvrage peut réaliser lui-même les mesures de compensation, ou bien les faire réaliser par un « opérateur de compensations », ou encore recourir à l’acquisition « d’unités de compensation écologiquement équivalentes d’un site naturel de compensation agréé par l’État ». Des mesures permettant de modifier les pratiques de gestion des milieux naturels peuvent aussi servir de compensation. Dans le cas particulier de la forêt, la compensation peut se faire soit sous forme de travaux de boisement, soit sous forme d’une indemnité au Fonds Stratégique pour la Forêt et le Bois.

Chassez le marché par la porte, il revient par la fenêtre.

Visuel évoquant la compensation sur la brochure du ministère de la transition écologique citée plus haut. Il n’est pas du tout certain que la balance penche vraiment du côté Nature.

Bien sûr, le suivi de l’application et de l’efficacité des mesures d’évitement, de réduction et de compensation doit être fait. C’est en tout cas ce que prévoit le code de l’environnement. En réalité ce suivi est très inégal et parfois inexistant. Dans le cas des compensations sylvicoles, le cas de figure fréquemment rencontré dans la région consiste à reboiser une parcelle voisine qui n’est plus gérée depuis des années et qui est donc considérée comme improductive, comme le sont encore des parcelles qui ont subi la tempête Martin de 1999 ou Xynthia en 2010. Ces parcelles où une réelle biodiversité s’est reconstituée, sont alors rasées pour implanter une forêt de pins de type industriel.

On se demande où est le gain !

La compensation carbone : le faux nez de l’inaction climatique

D’une manière plus générale l’argument de la compensation relève de l’enfumage. Il est systématiquement utilisé pour montrer qu’on pourra atteindre en 2050 la « neutralité carbone » prévue par les accords de Paris. Or c’est un leurre. L’association CCFD-Terre solidaire a produit récemment un rapport intitulé « Compensation carbone : tout sauf neutre ! ». Elle dénonce dans un communiqué :

« La compensation carbone n’est pas une réponse à la crise climatique, et, en plus, risque de générer des impacts majeurs sur les droits humains et la biodiversité. A la veille de la COP26, il faut que les Etats et les citoyens ne soient pas dupes face à ce que cachent réellement les stratégies de neutralité carbone des entreprises. L’heure n’est plus aux fausses solutions ! Seule la réduction réelle des émissions et le respect des droits peut garantir la justice climatique »

Ainsi, lorsqu’Emmanuel Macron s’engage pour la neutralité carbone en 2050, n’imaginez pas qu’il s’agit d’un « zéro émission » net. Les multinationales des secteurs les plus émissifs regorgent de subterfuges et d’astuces. On trouvera quelques exemples dans le rapport de CCFD. Nous en présentons rapidement deux.

TotalEnergies

Dans le domaine de l’énergie, cette entreprise envisage de poursuivre ses activités et même d’augmenter de près de 50 % sa production de pétrole et de gaz entre 2015 et 2025 tout en diminuant les émissions de ses propres installations (ce qui représente 10 à 15% des émissions totales du groupe).

Il envisage de compenser le reste grâce à des approches technologiques douteuses de stockage de carbone, ou encore en plantant 40 000 hectares d’acacias (encore une monoculture) sur un territoire du Congo (RDC) déjà riche en biodiversité, où vit une faune adaptée à cet écosystème et sans demander leur avis aux populations autochtones et riveraines puisqu’il considère la zone comme inhabitée.

Quant au captage et stockage du CO2 industriel (Projet Northern Lights), TotalEnergies prévoit de transporter le gaz par bateau sous forme liquide jusqu’à un site de stockage temporaire à terre. Le CO2 sera exporté par un pipeline sous-marin d’une centaine de kilomètres jusqu’à son site d’injection dans un aquifère salin profond du plateau continental norvégien. Il sera alors stocké dans une couche géologique à 2800 m au fond de la mer. Les scientifiques font remarquer que le bilan carbone de cette installation est déjà désastreux mais en outre que le risque de fuite est loin d’être nul et l’acidification de l’océan qui en résulterait serait désastreuse.

AirFrance

Dans le domaine des transports Air France pense tenir ses objectifs en allégeant ses vols (changement de la vaisselle à bord, on rit) ou avec l’avion aérodynamique Flying-V qui diminue la consommation de kérosène de 20% mais ne sera disponible qu’après 2040…

Le groupe propose à ses passagers de soulager leur conscience en soutenant, sous forme de don à une association qu’il a créee Trip and Tree by Air France. Il s’agit de planter des arbres ou parfois d’éviter des déforestations dans des pays comme le Brésil. Autant de projets de compensation carbone que l’entreprise pourra inscrire à son bilan Climat, avec en prime l’aide des contribuables français !

L’un de ces projets – Floresta de Portel – un projet d’évitement de déforestation en Amazonie brésilienne a été suivi, avec 11 autres projets analogues, par une équipe scientifique internationale et publiée par l’Académie des sciences étasunienne. Les niveaux de déforestation du projet ont été comparés à ceux d’une zone non protégée à proximité et ils étaient pratiquement les mêmes. Il s’agit donc d’une vaste esbrouffe.

En juillet 2020, Valérie Masson- Delmotte, co-présidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a ainsi interpellé AirFrance à propos de la « neutralité carbone » de ses vols :

« La notion de neutralité carbone selon le GIEC implique que chaque émission de CO2 dans l’atmosphère soit effacée par une élimination de la même quantité de CO2, retirée de l’atmosphère et stockée de manière durable (émissions négatives). Ni la déforestation évitée ni les investissements dans des énergies bas carbone correspondent à cela. »

Le Shiftproject, l’association fondée par Jean-Marc Jancovici, a produit en mars 2021 un rapport très complet explorant toutes les « technologies décarbonantes » pour l’aviation, avec les hypothèses de réussite les plus optimistes pour la décarboner. Il parvient à la conclusion suivante :

« Nos travaux montrent qu’aucune trajectoire réaliste ne peut conduire à l’objectif sans réduire la croissance du trafic ».

Centrale de Cestas (230 ha) : des panneaux à perte de vue. Dessous, ne poussent que de l’herbe et des fougères.

Conclusion

Ce sont des centaines de millions d’hectares qui seraient nécessaires pour séquestrer le carbone produit par ces multinationales championnes de l’émission. Sans compter que la financiarisation de la nature induite a pour conséquence une mise sous cloche de larges pans de territoire au détriment des populations locales, de leurs modes de vie et de leur souveraineté alimentaire.

 

Décidément, non, la compensation n’est pas une solution mais au contraire, une fuite en avant cornucopienne, comme le dit Philippe Bihouix dans Le bonheur était pour demain. Le mot cornucopien vient de la corne d’abondance à laquelle on ne veut pas renoncer, en faisant semblant de croire à des solutions technologiques miracles avec l’avion propre, les champs d’éoliennes, les OGM, les nanos-robots, l’intelligence artificielle, les nodules de minéraux au fond des océans, la fusion froide, l’humanité augmentée… Bref, autant d’utopies savamment entretenues par les ultra-libéraux en général et les macronistes en particulier pour installer l’idée qu’il est inutile d’être sobre et qu’il faut continuer à foncer.

C’est à cette attitude suicidaire dont les premières victimes seront les plus démunis, que nous voulons nous opposer. Une planification écologique responsable et solidaire, respectueuse de la nature et en adéquation avec les besoins réels des gens est indispensable, à l’échelon national comme à l’échelon local. L’argumentaire de la compensation ne peut en aucun cas servir à minimiser les conséquences environnementales d’un projet comme celui d’Horizeo à Saucats.

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